C'est drôle comment la vie continue. On fait comme si de rien était, on préfère ne pas y penser.
Il y a deux semaines, elle était "dans les nuages" selon sa propre expression, folle amoureuse, prête à abandonner son été à l'étranger pour lui. Aujourd'hui, elle ne pense plus qu'aux partiels, pour oublier et évite surtout de nous en parler.
Beaubourg était devenu ce lieu étrange et angoissant, associé aux dernières images entrevues avant de perdre connaissance, quelques semaines plus tôt, cette file qui avançait et moi non, ces touristes italiens qui s'étaient trompés d'entrée, l'envie de voir Nan' qui occupait mes pensées.
Il était prêt à la quitter, à la mettre à la porte de chez lui, moi ça m'angoissait, j'avais envie de la voir une dernière fois, maintenant qu'elle avait 24 ans et qu'on s'étaient connues quand elle en avait 20 et moi 16. Maintenant, ils pensent à un bébé, drôle d'évolution.
Elle était presque devenue une inconnue, à force de me dire qu'on se verrait le lendemain alors qu'on ne se voyait jamais, d'entendre à la fac les rumeurs "elle a arrêté c'est sûr", alors que moi je savais qu'elle faisait tout pour rester à niveau sans venir en cours.
Et le parc des Buttes Chaumonts était magnifiquement illuminé. Pas un coin d'herbe n'échappait aux rayons du soleil. Je voulais y manger des feuilles de vigne, pour oublier la veille au soir.
Et moi à ce moment là, je pensais à tout ça. J'observais tout ça. Je m'observais moi-même. Je me sentais bien seule d'un coup. Elle n'était plus là, il allait partir, et lui, surtout lui, aussi. Je me sentais hors de ma vie, Coc' me manquait terriblement, ma vie me manquait terriblement.
J'ai pensé à tout ça ce matin en descendant à Saint Lazare tout doucement avec lui. Il faisait gris, j'adorais ça, j'espérais de la pluie. Je ne faisais pas trop attention à lui pour être honnête, mais il avait voulu qu'on se balade un peu, parce que c'est vrai qu'on ne s'était pas vu depuis longtemps.
Et puis il y a eu cette scène très cinématographique, très clichée, trop clichée. Lui et moi près à traverser la rue, mon pantalon de lin noir qui me semblait bien léger d'un coup, moi qui essayais de garder mes cheveux en forme alors qu'il m'observait. Le regard se faisant persistant, je me tournais vers lui pour lui sourire et lui qui me dit d'un coup, sorti de nulle part "tu es très jolie".
Je me souviens avoir été étonnée, l'avoir regardé et avoir souri sur le coup comme pour dire merci et puis l'instant d'après avoir pensé que ce qu'il voulait dire c'est "tu es très jolie aujourd'hui", pour me dire qu'il trouvait ça bien que je dorme et que je fasse attention à moi en ce moment, les réflexions qu'on se fait entre amis.
Et puis on a continué notre route vers la fnac. Sans parler. C'était bon et je me suis demandé ce que ça pourrait donner, si ce serait aussi bon que cet instant et si...si c'était possible...
...possible, en ces jours étranges, de s'abandonner à quoique ce soit d'autre que le désespoir.
Je lui ai demandé, à elle, cette après-midi. Et avec ses 35 ans de sagesse, elle m'a répondu "bien sûr que oui on peut s'abandonner à autre chose que le désespoir. Et non seulement on peut mais on doit, on ne va pas pleurer 5 ans. Surtout toi, du haut de tes 20 ans méli".
Alors moi je dis, abandonnons-nous à l'amour. Parce qu'apparement, il existe encore, malgré l'horreur. Et malgré l'horreur, des gens s'y abandonnent tous les jours, histoire de l'oublier justement l'horreur. Alors...pourquoi ne pas s'y essayer?